Rapport sur le cas - Agence canadienne d'inspection des aliments - Geneviève Desjardins (septembre 2017)
Conclusions du Commissariat à l’intégrité du secteur public dans le cadre d’une enquête concernant des allégations d’actes répréhensibles
Le présent document est également disponible en format PDF.
ISBN 978-0-660-09422-9
Table des matières
- Lettres
- Avant-propos
- Mandat
- La divulgation
- Résultats de l'enquête
- Aperçu de l'enquête
- Au sujet de l'organisme
- Résumé de conclusions
- Conclusion
- Recommandations du commissaire et réponses ministérielles
Lettres
L’honorable George J. Furey, c.r.
Président du Sénat
Le Sénat
Ottawa (Ontario) K1A 0A4
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant les conclusions d’une enquête du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada à la suite d’allégations d’actes répréhensibles à l’encontre de l’Agence canadienne d'inspection des aliments, rapport qui doit être déposé au Sénat conformément aux dispositions du paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.
Le rapport fait état des conclusions concernant les actes répréhensibles, des recommandations faites à l’administrateur général, de mon avis quant au caractère satisfaisant ou non de la réponse de l’administrateur général relativement aux recommandations et des commentaires écrits de ce dernier.
Je vous prie d’accepter, monsieur le Président, mes salutations distinguées.
(La version originale a été signée par)
Joe Friday
Commissaire à l'intégrité du secteur public
Ottawa, septembre 2017
L’honorable Geoff Regan, C.P., député
Président de la Chambre des communes
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Monsieur le président,
J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant les conclusions d’une enquête du Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada à la suite d’allégations d’actes répréhensibles à l’encontre de l’Agence canadienne d'inspection des aliments, rapport qui doit être déposé à la Chambre des communes conformément aux dispositions du paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.
Le rapport fait état des conclusions concernant les actes répréhensibles, des recommandations faites à l’administrateur général, de mon avis quant au caractère satisfaisant ou non de la réponse de l’administrateur général relativement aux recommandations et des commentaires écrits de ce dernier.
Je vous prie d’accepter, monsieur le Président, mes salutations distinguées.
(La version originale a été signée par)
Joe Friday
Commissaire à l'intégrité du secteur public
Ottawa, septembre 2017
Avant-propos
Je vous présente ce rapport sur le cas concernant des actes répréhensibles avérés, rapport qui a été déposé devant le Parlement, conformément à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi), et qui expose les résultats d’une enquête sur la conduite inappropriée d’une vice-présidente de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA).
Il s’agit du deuxième rapport sur le cas concernant la même divulgation d’actes répréhensibles : le 23 février 2017, j’ai déposé un rapport sur le cas concernant la conduite de l’ancien président et de l’ancien vice-président des ressources humaines, qui ont omis de prendre les mesures nécessaires pour traiter trois plaintes de harcèlement formulées par des employés de l’ACIA contre la vice-présidente identifiée dans le présent rapport sur le cas.
Les conclusions tirées dans le présent rapport concernent le comportement abusif de la vice‑présidente à l’égard de son personnel, qui constitue un acte répréhensible au sens de la Loi. Il est important de souligner que le Commissariat ne fait pas enquête sur des plaintes individuelles de harcèlement; il enquête plutôt sur les comportements systémiques susceptibles d’avoir un effet néfaste sur les employés et le milieu de travail en général.
Les plaintes individuelles de harcèlement devraient continuer d’être traitées à l’interne au moyen des politiques de l’organisation et du Conseil du Trésor.
Bien que, selon moi, le genre de comportement dont il est question dans ce rapport n’est pas de nature systémique dans le secteur public fédéral, j’espère que la présente conclusion quant à l’existence d’actes répréhensibles avérés en ce qui a trait au comportement et aux actes non professionnels et inacceptables des cadres supérieurs enverra le message clair que ce genre de comportement est inacceptable et qu’il ne sera pas toléré.
Comme je l’ai mentionné dans des rapports sur le cas antérieurs, les Canadiens s’attendent à ce que tous les employés du secteur public, en particulier les cadres supérieurs, soient respectueux et professionnels et que leur comportement reflète les valeurs du secteur public.
Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Mandat
Le Commissariat à l’intégrité du secteur public contribue à renforcir la reddition de comptes et la surveillance de la gestion des activités du gouvernement en fournissant :
- aux fonctionnaires et au grand public un processus sûr, indépendant et confidentiel pour recevoir et enquêter les divulgations d’actes répréhensibles au sein du secteur public fédéral ou le concernant, et en déposant des rapports sur les cas avérés au Parlement, ainsi qu’en formulant des recommandations de mesures correctives aux administrateurs généraux; et
- aux fonctionnaires et aux anciens fonctionnaires un mécanisme visant à traiter les plaintes de représailles dans le but de résoudre la question, y compris renvoyer des cas au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs.
Le Commissariat est un organisme indépendant créé en 2007 dans le but de mettre en œuvre la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi).
L’article 8 de la Loi définit ainsi les actes répréhensibles :
a) la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi;
b) l’usage abusif des fonds ou des biens publics;
c) les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;
d) le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;
e) la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;
f) le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).
La Loi prévoit que les enquêtes menées sur une divulgation ont pour objet de porter l’existence d’actes répréhensibles à l’attention de l’administrateur général de l’organisme concerné et de lui recommander des mesures correctives.
La Loi a été créée pour fournir un mécanisme de dénonciation confidentiel au sein du secteur public fédéral. Le régime de divulgation établi par la Loi vise non seulement à déceler les actes répréhensibles lorsqu’ils se produisent et à prendre des mesures correctives pour y mettre fin; il sert aussi de moyen de dissuasion à l’échelle du secteur public fédéral. Voilà pourquoi la Loi exige que les cas d’actes répréhensibles avérés soient signalés au Parlement. Il s’agit d’un puissant outil de transparence et de responsabilité à l’égard du public.
La divulgation
Le Commissariat a reçu une divulgation d’actes répréhensibles le 19 octobre 2015, dans laquelle il était allégué que la conduite de Mme Geneviève Desjardins, vice-présidente des communications et des affaires publiques de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), constituait des actes répréhensibles au sens des alinéas 8c) et 8e) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi), à savoir un cas grave de mauvaise gestion et une contravention grave d’un code de conduite.
La divulgation concernait des incidents survenus à l’ACIA en 2014 et 2015. Cependant, l’enquête a révélé que Mme Desjardins avait adopté un comportement similaire pendant son emploi précédent au sein d’une autre organisation du secteur public fédéral.
Résultats de l'enquête
Les renseignements obtenus au cours de l’enquête démontrent, selon la prépondérance des probabilités, que la conduite de Mme Geneviève Desjardins représente un cas grave de mauvaise gestion et une contravention grave au Code de valeurs et d’éthique du secteur public et au Code de conduite de l’ACIA, parce qu’elle a :
- fait – de façon continue – des commentaires inappropriés à l’intention des employés;
- demandé aux employés de lui fournir des renseignements personnels au sujet d’autres employés;
- maltraité et harcelé son personnel;
- abusé de son pouvoir;
- omis de faire preuve de diligence raisonnable dans le contexte du licenciement d’un employé.
Aperçu de l'enquête
L’enquête, qui a été menée par Christian Santarossa et Alain Joanisse, deux employés du Commissariat, a commencé le 26 janvier 2016. Les enquêteurs ont entendu le témoignage de 31 personnes et ont examiné un ensemble varié d’éléments de preuve documentaire, notamment des dossiers d’employés, des courriels et d’autres documents comme des plaintes de harcèlement déposées par les employés contre Mme Desjardins en lien avec les allégations.
Le 17 août 2016, le Commissariat, conformément aux obligations qui lui sont imposées par la Loi, a transmis à l’ACIA et à Mme Desjardins une copie d’un rapport d’enquête préliminaire (REP) et leur a donné la possibilité pleine et entière de commenter les allégations et les résultats préliminaires. Mme Desjardins a nié avoir commis quelque forme d’acte répréhensible que ce soit et elle a indiqué que le compte rendu de ses actes donné par les employés était faux. Pour parvenir à ma décision, je me suis fondé sur tous les renseignements reçus pendant l’enquête, y compris la réponse de Mme Desjardins au REP.
En raison de circonstances indépendantes de la volonté du Commissariat, qui se rapportaient à la disponibilité des témoins, l’enquête a été retardée de plusieurs mois.
Au sujet de l'organisme
L’ACIA est l’un des plus grands organismes canadiens de réglementation à vocation scientifique. Elle compte dans l’ensemble du Canada quelque 6 555 employés qui travaillent dans la région de la capitale nationale et dans quatre secteurs opérationnels.
L’ACIA veille à la protection de la santé et du bien-être des habitants, de l’environnement et de l’économie du Canada en assurant la salubrité des aliments, la santé des animaux et la protection des végétaux.
L’ACIA élabore et offre des services d’inspection et autres pour :
- prévenir et gérer les risques liés à la salubrité des aliments;
- protéger les ressources végétales contre les maladies, les espèces envahissantes et les ravageurs;
- prévenir et gérer les maladies animales et les zoonoses;
- contribuer à la protection des consommateurs;
- faciliter l’accès aux marchés des aliments, des végétaux et des animaux du Canada.
Mme Desjardins est la vice-présidente des communications et des affaires publiques de l’ACIA. Environ 65 employés relèvent d’elle.
Résumé des conclusions
Contravention grave d’un code de conduite
Pour établir si une action ou une omission constitue une contravention « grave » d’un code de conduite au sens de l’alinéa 8e) de la Loi, il faut tenir compte des éléments caractéristiques suivants :
- la contravention constitue un écart important par rapport aux pratiques généralement acceptées au sein du secteur public fédéral;
- les conséquences actuelles ou éventuelles de la contravention sur les employés ou les clients de l’organisme en cause, ou sur la confiance du public, sont importantes;
- l’auteur allégué des actes répréhensibles occupe au sein de l’organisme un poste d’un niveau hiérarchique élevé ou nécessitant un niveau de confiance élevé;
- il ne fait aucun doute qu’une personne raisonnable conclurait que des erreurs graves ont été commises;
- la contravention du code de conduite est de caractère systémique ou endémique;
- les contraventions au code de conduite sont répétées, ou diverses contraventions ont eu lieu sur une longue période;
- le caractère délibéré ou insouciant de la contravention du code de conduite est marqué.
Cas grave de mauvaise gestion : acte répréhensible au sens de l’alinéa 8c) de la Loi
Lorsque le Commissariat enquête sur une allégation de cas grave de mauvaise gestion au sens de l’alinéa 8c) de la Loi, il tient notamment compte des facteurs suivants :
- des problèmes très importants, systémiques ou répandus;
- de graves erreurs non sujettes à débat entre des personnes raisonnables;
- des actes dépassant le simple acte répréhensible ou la simple négligence;
- des actes ou des omissions de la gestion qui créent un risque considérable de conséquences négatives graves sur la capacité de l’organisme, le bureau ou la section à s’acquitter de sa mission;
- la nature intentionnelle de l’acte répréhensible;
- la nature systémique de l’acte répréhensible.
Commentaires inappropriés au sujet des employés
La preuve montre que Mme Desjardins a tenu des propos inappropriés au sujet des employés et qu’elle perdait un temps déraisonnable à leur poser des questions sur leur situation personnelle, notamment au sujet des relations entre eux, et d’autres questions de nature privée, comme leur état de santé.
Plusieurs témoins ont signalé que Mme Desjardins parlait en mal des employés en leur absence. La preuve montre que ces commentaires négatifs, adressés aux collègues des employés visés, étaient inopportuns pour leurs destinataires. Le fait d’entendre des renseignements personnels et préjudiciables au sujet de leurs collègues avait souvent un effet néfaste sur les employés et sur leur moral. Par exemple, pendant une conversation avec des employés, Mme Desjardins a dit d’un des cadres de son équipe qu’il était [traduction] « très désorganisé » et elle a mis en doute sa capacité de gérer. Plus tard, lorsque ce cadre a annoncé qu’il quittait l’ACIA, un employé a vu Mme Desjardins faire une [traduction] « petite gigue » pour célébrer son départ. Dans un autre cas, Mme Desjardins a dit à un employé qu’un autre gestionnaire était [traduction] « bizarre et incompétent, et qu’elle souhaitait le voir partir ».
Deux témoins ont rapporté avoir entendu Mme Desjardins utiliser le langage suivant pour parler d’une cadre de la direction générale : [traduction] « pas normale », « ménopausée », « d’humeur changeante », « incompétente », « nommée par (un ancien vice-président) probablement parce qu’il s’en allait », « pas intelligente », « Penses-tu qu’elle fait par exprès pour faire des gaffes? » et « Comment a-t-elle fait pour obtenir son emploi? »
Un cadre a témoigné que dans les derniers mois où il relevait de Mme Desjardins, il était responsable de plus de 50 employés, de six gestionnaires et de deux directeurs, et qu’il [traduction] « ne s’écoulait pas une journée – pas une seule – sans qu’une personne en pleurs, contrariée, alarmée ou choquée vienne dans [son] bureau pour se plaindre du comportement de la vice-présidente... les employés étaient réduits à des employés qu’on ne pourrait qualifier que de victimes d’intimidation ou de harcèlement. Le milieu de travail était devenu horrible. »
Malgré le fait que Mme Desjardins nie avoir commis des actes répréhensibles et malgré les explications qu’elle a fournies aux enquêteurs et dans sa réponse au REP, les témoignages livrés par plusieurs personnes sont cohérents et démontrent de façon incontestable qu’elle formulait régulièrement et fréquemment des commentaires désobligeants au sujet de ses subalternes de tous les échelons, et ce, devant d’autres employés.
Conduite et comportement en général
La preuve montre que Mme Desjardins a manifesté ce qu’une personne raisonnable décrirait comme un intérêt inapproprié à l’égard des relations interpersonnelles de ses employés, ce qui a créé un sentiment de malaise général au sein des employés de la direction générale, à qui Mme Desjardins posait régulièrement des questions sur le sujet.
Une personne a expliqué qu’après une activité sociale entre collègues, Mme Desjardins l’avait convoquée dans son bureau et lui avait demandé qui avait participé à l’activité et de quoi les gens avaient parlé. Cette personne a témoigné qu’il était très difficile pour elle de fournir ces renseignements à Mme Desjardins, car ils étaient de nature personnelle. Mme Desjardins avait beaucoup insisté pour que ces renseignements personnels lui soient fournis.
Un autre témoin a relaté que Mme Desjardins trouvait qu’une employée prenait trop souvent congé pour s’occuper de ses enfants et qu’elle avait dit que cette employée ne devrait plus travailler pour elle. Mme Desjardins a dit que l’employée [traduction] « ne se présente jamais au travail, qu’elle prend toujours congé pour s’occuper de ses enfants, qu’elle est mère monoparentale ». De plus, Mme Desjardins a dit que l’employée en question n’avait pas suffisamment de [traduction] « soutien » (de la part des membres de sa famille) et qu’elle devait par conséquent prendre congé pour s’occuper de ses enfants. Rien n’indique que l’employée s’absentait du travail de façon inappropriée. Mme Desjardins nie avoir fait des commentaires discriminatoires au sujet de cette employée; elle a expliqué qu’elle faisait simplement remarquer que l’employée était souvent en congé.
La preuve montre que Mme Desjardins a fixé son attention sur des personnes différentes à des moments différents, des employés de niveau AS-02 aux employés de niveau EX, et qu’elle a tenu des propos comme : [traduction] « À qui parle-t-il/elle? », « Que peut-on faire pour qu’il/elle quitte la direction générale? », « Pourquoi est-il/elle encore malade? » et « Je veux voir toutes les demandes qu’il/elle a présentées dans PeopleSoft ». Ce comportement a été corroboré par une personne, qui a affirmé que Mme Desjardins était très émotive, qu’elle pleurait souvent et qu’elle passait énormément de temps à discuter des affaires personnelles des employés. Cette personne a livré le témoignage suivant :
[traduction] « ... de façon inhabituelle... quand je dis beaucoup... quand c’était le temps d’aborder les problèmes qui ont commencé à survenir à la direction générale, et ils sont trop nombreux pour les nommer... je me suis littéralement distanciée d’elle, parce que je n’arrivais même plus à faire mon travail... Pendant une période de près de 3 ou 4 mois, j’allais dans son bureau de 4 à 6 fois par jour pour parler des affaires personnelles d’autres employés ou de leurs amis ou des gens à qui ils parlaient et pourquoi. Elle était très préoccupée par les liens entre les employés au sein de la direction générale et elle voulait connaître les détails personnels de leurs rencontres... »
Cette même personne a témoigné que Mme Desjardins ciblait certains employés et qu’elle [traduction] « faisait le tour de la direction générale pour obtenir différents renseignements au sujet de différentes personnes ». Elle a affirmé avoir souvent vu des employés pleurer en raison du comportement de Mme Desjardins à l’égard du personnel, et elle a décrit le milieu de travail comme étant [traduction] « fou » et [traduction] « nuisible » et a affirmé que [traduction] « la téléréalité avait l’air d’un jeu d’enfant en comparaison ».
La preuve montre que Mme Desjardins passait régulièrement outre son équipe de cadres et de gestionnaires et qu’elle choisissait plutôt de s’adresser directement à leurs employés. Un cadre nous a dit que Mme Desjardins [traduction] « ne savait pas comment gérer son équipe de cadres et qu’elle gérait plutôt directement les employés des cadres d’une façon si minutieuse que les cadres étaient essentiellement mis à l’écart ». Ce cadre a témoigné que Mme Desjardins était [traduction] « obsédée » par des employés situés beaucoup plus bas qu’elle dans la hiérarchie, alors qu’elle avait de la difficulté à gérer sa charge de travail.
De nombreuses personnes ont témoigné que Mme Desjardins était obsédée par des questions sans importance et qu’elle demandait souvent à ses subalternes de se pencher sur ces questions, alors que ce n’était pas nécessaire. Par exemple, un cadre a expliqué qu’elle s’inquiétait des meubles que les employés apportaient lorsqu’ils quittaient la direction générale pour occuper un autre poste au sein de l’ACIA.
Un autre cadre a raconté qu’une employée avait accepté un nouveau poste au sein de la direction générale et que Mme Desjardins était allée dans son nouveau cubicule pour récupérer la chaise de cette employée, alors que la chaise avait été achetée spécifiquement pour l’employée à la suite d’une évaluation ergonomique. Mme Desjardins s’est présentée au cubicule de l’employée, a pris sa chaise et l’a poussée le long d’un grand corridor de cubicules, au grand désarroi des employés qui ont assisté à la scène.
On a également appris que Mme Desjardins se faisait régulièrement coiffer le matin par une employée subalterne. L’employée en question a confirmé qu’elle acceptait de coiffer Mme Desjardins sur demande. Deux personnes qui travaillent à proximité du bureau de Mme Desjardins ont témoigné que ce genre d’activité survenait quotidiennement. Peu importe la fréquence de l’activité, c’est une preuve claire d’un abus de pouvoir, qui a donné une impression très défavorable aux employés qui en étaient régulièrement témoins.
Employés pris pour cible
Les témoignages entendus établissent clairement que Mme Desjardins a ciblé certains employés de façon plus directe, en particulier ceux qui contestaient ou qui mettaient en doute son autorité.
Il a été démontré que Mme Desjardins a manifesté un comportement abusif à l’égard d’une adjointe administrative. L’employée en question a raconté qu’elle avait été victime des excès de colère de Mme Desjardins et que celle-ci lui avait posé des questions insultantes. Une fois, Mme Desjardins lui a demandé si elle était dans ses règles.
L’adjointe administrative a également témoigné qu’une fois, Mme Desjardins avait [traduction] « explosé » : alors qu’elle se trouvait à environ 20 pieds d’elle, Mme Desjardins lui avait demandé en criant où se trouvaient ses clés du bureau, et ce, devant une employée relevant de l’adjointe administrative. Lors de son entrevue, l’adjointe administrative a expliqué qu’il n’y avait pas d’urgence ni de question particulièrement pressante à régler ce matin-là qui aurait pu expliquer la réaction de Mme Desjardins. Une heure après l’incident, l’adjointe administrative est allée voir Mme Desjardins pour lui parler de l’incident et pour lui dire qu’elle l’avait embarrassée devant son employée, ce qui avait miné sa crédibilité en tant que superviseure de cette employée. Mme Desjardins a répondu que l’adjointe administrative était [traduction] « hypersensible ». L’adjointe administrative a dit que les cris de Mme Desjardins étaient un 6 ou un 7 sur une échelle de 1 à 10 (où 10 représente les cris les plus forts), et elle a ajouté qu’on aurait pu l’entendre à l’autre bout du corridor.
Voici un autre exemple. Le dernier jour de son emploi avec Mme Desjardins, l’adjointe administrative avait emballé ses effets personnels et l’équipement de bureau qui lui avait été assigné, comme les responsables des locaux de l’ACIA l’avaient autorisée à le faire, lorsqu’elle fut victime d’un nouvel accès de colère de la part de Mme Desjardins : [traduction] « Tu n’apportes rien. Tout appartient à la direction générale, alors tout reste ici. » L’adjointe administrative a décrit ainsi les cris : [traduction] « cette fois je dirais que c’était probablement un 8 ou un 9 en termes de cris (où 10 représente les cris les plus forts); elle crachait partout, elle était vraiment contrariée. Puis elle est partie en trombe et c’est tout. Elle ne voulait même plus me parler – rien. »
L’adjointe administrative a relaté qu’à une autre occasion, Mme Desjardins lui avait donné la directive de mentir aux employés à propos de la raison pour laquelle un cadre quittait la direction générale, car elle ne voulait pas que le départ de cet employé nuise à sa réputation.
Une autre employée ciblée par Mme Desjardins a occupé le poste de conseillère principale auprès d’elle. En novembre 2014, cette employée a informé Mme Desjardins qu’elle ne voulait plus travailler pour elle, même si elle n’occupait pas le poste de conseillère principale uniquement depuis quatre mois et demi. L’employée a affirmé que la décision de parler à Mme Desjardins avait été très difficile, parce qu’elle avait entendu dire que Mme Desjardins réagissait mal lorsqu’un employé souhaitait quitter la direction générale. Elle avait entendu dire que lorsqu’un employé exprimait le désir de partir ou de faire autre chose, Mme Desjardins [traduction] « le mettait dehors ».
Lors de leur conversation, Mme Desjardins a réagi comme la conseillère principale s’y attendait : elle a dit qu’elle ne serait pas admissible à un emploi équivalent ailleurs au gouvernement. Mme Desjardins a suggéré à l’employée de se trouver un emploi ailleurs au gouvernement et a énuméré divers ministères et organismes où l’employée devrait selon elle travailler, et ce, même si l’employée a maintenu qu’elle aimait travailler à l’ACIA. Mme Desjardins lui a dit [traduction] « ... tu sais, je ne recommanderai à aucun directeur de t’embaucher comme gestionnaire. Ils peuvent embaucher qui ils veulent. »
Licenciement - la « main de poker »
Le troisième employé ciblé par Mme Desjardins est un gestionnaire de la direction générale. À titre d’exemple de comportement abusif, Mme Desjardins a demandé au directeur du gestionnaire d’exiger que celui-ci présente un billet médical pour justifier trois jours de congé de maladie consécutifs, alors que les autres employés n’étaient pas tenus de faire une telle chose. La demande de Mme Desjardins était particulièrement étrange, puisqu’il y avait deux niveaux entre le gestionnaire et elle. Mme Desjardins a affirmé qu’elle ne se souvenait pas de cet incident et qu’elle n’aurait jamais formulé une telle demande.
Un autre exemple : lorsque le gestionnaire a voulu doter un poste vacant pour une période de six mois, Mme Desjardins a refusé en invoquant des contraintes budgétaires. Cependant, une personne a témoigné que, en rejetant la mesure de dotation proposée, Mme Desjardins avait dit [traduction] « Eh bien, [nom du gestionnaire caviardé] n’obtient pas nécessairement tout ce qu’il veut » et jeté le curriculum vitæ du candidat à la poubelle.
Le 2 novembre 2015, le gestionnaire en question a été invité à une rencontre avec son directeur général, supposément pour discuter de son rendement après une évaluation favorable menée dix semaines auparavant. Avant cette rencontre, le gestionnaire avait fait part à la direction de ses préoccupations concernant diverses questions au sein de la direction générale, notamment le taux de roulement élevé chez les employés et les répercussions que cela occasionnait.
Le directeur général, qui relevait directement de Mme Desjardins, a présenté au gestionnaire une lettre de cessation d’emploi prenant effet immédiatement. Un conseiller principal en ressources humaines, qui assistait également à la rencontre, l’a informé que l’ACIA [traduction] « avait un dossier plutôt volumineux à [son] égard ».
Le gestionnaire s’est vu offrir une entente de règlement comprenant la date définitive de la cessation d’emploi, une décharge complète et définitive, ainsi qu’une ordonnance de confidentialité. On lui a dit que s’il choisissait de ne pas signer l’entente de règlement, on se servirait de son [traduction] « dossier » pour le congédier pour un motif valable. C’est ce que l’ACIA a appelé la méthode de la « main de poker ».
L’enquête a révélé que l’ACIA n’avait monté aucun [traduction] « dossier » au sujet du gestionnaire, comme on l’avait prétendu.
Mme Desjardins, tout comme le directeur général, avait approuvé la façon dont on allait mettre fin à l’emploi du gestionnaire, c’est-à-dire au moyen de la méthode de la « main de poker ». On n’a jamais donné au gestionnaire l’occasion de corriger les problèmes de rendement allégués avant son licenciement.
Il importe de souligner que le gestionnaire n’avait pas été averti par écrit qu’il risquait de perdre son emploi. En outre, aucun représentant syndical n’était présent lors de la rencontre.
À titre de vice-présidente, Mme Desjardins avait l’obligation et la responsabilité de veiller à ce que le licenciement d’un employé de sa direction générale soit mené suivant les règles, ce qui n’a pas été le cas.
Conclusion
Tout au long de l’enquête, les enquêteurs du Commissariat ont rencontré divers témoins qui ont parlé en détail de leurs interactions personnelles avec Mme Desjardins. Le témoignage des uns corroborait le témoignage des autres, et tous les témoignages étaient cohérents. Il est évident que le comportement de Mme Desjardins ne correspond pas aux pratiques acceptées au sein du secteur public ni aux comportements attendus énoncés dans le Code de valeurs et d’éthique du secteur public (le Code). En ce qui concerne le respect des personnes, le Code prévoit que les fonctionnaires doivent traiter chaque personne avec respect et équité et favoriser l’établissement et le maintien de milieux de travail sûrs et sains, exempts de harcèlement et de discrimination. En outre, l’ACIA adopte un niveau de tolérance zéro en matière de harcèlement en milieu de travail. Le Code de conduite de l’ACIA prévoit que tous les employés doivent contribuer au maintien d’un milieu de travail exempt de harcèlement. À cette fin, ils doivent faire preuve « de respect et de civilité » dans leurs rapports avec autrui. La preuve a permis d’établir de façon incontestable que Mme Desjardins n’a pas respecté ces valeurs. Je conclus donc que Mme Desjardins a commis une contravention grave de ces codes.
En outre, la portée et la gravité des incidents impliquant Mme Desjardins m’amènent à conclure que les gestes qu’elle a posés à l’égard des employés constituent un cas grave de mauvaise gestion dans le secteur public.
Le comportement de Mme Desjardins en sa capacité de vice-présidente, tel qu’il est décrit dans le présent rapport sur le cas, est une question très importante, surtout de nos jours, compte tenu du fait que le milieu de travail sain et la santé mentale sont des priorités claires du gouvernement du Canada. Les incidents décrits par les témoins ne peuvent être considérés comme mineurs ou isolés. De façon globale, les rapports inacceptables de Mme Desjardins avec les employés, ses intrusions dans leurs affaires personnelles et ses commentaires impolis et irrespectueux au sujet des autres étaient délibérés et fréquents, et ils ont eu une incidence sur le bien-être de bon nombre d’employés à divers échelons.
Il convient de signaler que les enquêteurs ont également rencontré six témoins qui travaillent pour l’ancien employeur de Mme Desjardins et qui n’ont aucun lien avec les employés de l’ACIA en question. La description du comportement de Mme Desjardins donnée par ces témoins comportait des similitudes frappantes avec son comportement à l’ACIA, ce qui contraste avec les prétentions de Mme Desjardins, qui a affirmé que les employés de la direction générale de l’ACIA avaient comploté contre elle dans le contexte des divulgations et des témoignages dans le cadre de la présente enquête.
En outre, le taux de roulement des employés de la direction générale de Mme Desjardins est un indice des répercussions négatives de son comportement sur les employés. L’enquête a révélé que, sur les quelque 65 employés en 2013, plus de la moitié ont quitté la direction générale depuis l’arrivée de Mme Desjardins en mars 2014, dont dix employés qui relevaient directement d’elle. Le taux de roulement élevé des employés de la direction générale concorde avec l’opinion exprimée par plusieurs témoins, selon laquelle le style de gestion de Mme Desjardins avait un effet si néfaste sur les employés que bon nombre d’entre eux ont choisi de s’en aller.
Recommandations du commissaire et réponses ministérielles
Dans mon rapport sur le cas du 23 février 2017, j’ai recommandé que l’ACIA prenne les mesures appropriées pour s’assurer que les trois plaintes de harcèlement initiales déposées contre Mme Desjardins sont examinées et traitées de manière exhaustive et équitable. Le président a accepté cette recommandation, a chargé une tierce partie indépendante de mener une enquête à cet égard et a fourni la mise à jour suivante :
L’enquêteur indépendant a terminé l’enquête préliminaire, et les Parties examinent actuellement l’ébauche du rapport en question. Dès que le rapport final me sera remis, je l’examinerai et prendrai les mesures qui s’imposent, tout en assurant une équité procédurale pour toutes les Parties concernées.
Conformément à l’alinéa 22h) de la Loi, j’ai fait des recommandations au président de l’ACIA concernant les mesures qui doivent être prises afin de corriger les actes répréhensibles. Je suis satisfait de la réponse du président quant à ces recommandations et quant aux mesures prises à ce jour par le ministère afin de remédier aux actes répréhensibles relevés dans le présent rapport. Mes recommandations et ses réponses sont mentionnées ci-après.
Compte tenu de l’article 9 de la Loi, qui prévoit que « le fonctionnaire qui commet un acte répréhensible s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement », je recommande que l’ACIA détermine s’il convient d’imposer des sanctions disciplinaires à Mme Desjardins.
Je suis d’accord avec votre première recommandation. Des mesures appropriées ont été entreprises, conformément aux conclusions de votre rapport ainsi qu’aux politiques de l’ACIA et du gouvernement du Canada.
Je recommande que l’ACIA, en consultation avec les employés et les agents-négociateurs pertinents, évalue la nécessité d’élaborer une initiative sur le mieux-être en milieu de travail pour la Direction générale des communications et des affaires publiques afin de veiller à créer un lieu de travail sain et à répondre aux besoins des employés touchés par la conduite de Mme Desjardins.
À titre de président de l’ACIA, j’accorde une grande importance au bien-être en milieu de travail et à la création d’un environnement respectueux de tous les employés. Pour en témoigner, j’ai pris l’engagement de mettre en œuvre les recommandations de la Norme nationale du Canada sur la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail (la Norme), mise au point par la Commission de la santé mentale du Canada. En outre, les résultats du plus récent Sondage annuel auprès des fonctionnaires fédéraux et de notre sondage sur la santé mentale Protégeons la santé mentale au travail nous donneront un portrait objectif des situations problématiques au sein de l’organisation. En acceptant votre recommandation, je m’engage inviter les agents négociateurs et les employés à participer à la conception d’une stratégie sur le bien-être pour l’ACIA. J’ai demandé à la vice-présidente des Ressources humaines de l’ACIA de collaborer avec les agents négociateurs en vue de formuler des recommandations sur la meilleure approche à adopter avant la fin de décembre 2017.
Je recommande également que l’ACIA poursuive ses efforts en vue de régler les problèmes de harcèlement, tel qu’il en est question dans le rapport sur le cas de février 2017.
Pour l’ACIA assurer un environnement de travail sain dans lequel les employés sont respectés et où le harcèlement n’est pas toléré constitue une priorité. J’accepte votre recommandation et je tiens à vous informer des efforts déployés en ce sens à l’ACIA. Outre les mesures qui vous ont été décrites dans notre réponse du dossier de février 2017, nous travaillons en collaboration avec nos agents négociateurs dans le cadre de ces dossiers importants, qui continuent de progresser. Par exemple, lors de la récente réunion de notre Comité national de la santé et de la sécurité au travail le 20 juillet 2017, la nouvelle formation sur la sensibilisation au harcèlement qui a été mise au point en collaboration avec l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) a été approuvée; elle sera offerte cet automne conjointement par des représentants de la direction et des syndicats. Nous avons également intensifié nos communications internes sur l’importance d’un milieu de travail exempt de harcèlement.
En conclusion, je tiens encore une fois à vous réitérer mon engagement en ce qui concerne le bien-être de tous les employés de l’ACIA et mon intention de continuer de prendre les étapes nécessaires à promouvoir et à favoriser un milieu de travail sain, positif et productif pour tous les employés.