Rapport sur le cas - Affaires mondiales Canada (octobre 2022)
Conclusions du commissaire à l’intégrité du secteur public dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles
Texte de la déclaration vidéo
Bonjour. Je m’appelle Joe Friday, commissaire à l’intégrité du secteur public du Canada.
J’aimerais vous faire part du Rapport sur les cas fondés d’actes répréhensibles concernant Affaires mondiales Canada, que j’ai déposé au Parlement.
Après une divulgation d’un lanceur d’alerte, j’ai lancé une enquête sur le comportement d’une cadre d’Affaires mondiales qui s’était manifesté entre 2017 et 2020, et sur la réponse d’Affaires mondiales à ce comportement. À la suite de l’enquête, j’ai conclu que la cadre avait enfreint un code de conduite et qu’Affaires mondiales avait commis un cas grave de mauvaise gestion.
Les enquêteurs du Commissariat ont interrogé 24 témoins et examiné de nombreux documents. La preuve démontre que, sur plusieurs années, la cadre avait fait des commentaires déplacés et maltraité des employés. La preuve démontre aussi qu’Affaires mondiales n’avait pris aucune mesure suffisante pour fournir à la cadre des outils pour corriger son comportement; qu’Affaires mondiales n’avait pas protégé les employés contre le mauvais traitement continu; et qu’Affaires mondiales avait manqué à son obligation de garantir un environnement dans lequel les employés se sentaient à l’aise pour faire part de leurs préoccupations.
En 2016, après que des employés avaient porté plainte, Affaires mondiales avait lancé une enquête interne sur le comportement de la cadre. En 2017, Affaires mondiales avait déterminé que la cadre avait enfreint leur Code de valeurs et d’éthique – en particulier, la valeur « Respect envers les personnes ». La cadre devait faire l’objet d’un plan d’action, et elle serait considérée pour une promotion quand son comportement s’améliorerait.
Toutefois, la cadre avait continué de faire des commentaires désobligeants sur les employés et s’était moquée de leur travail à plusieurs reprises. Elle avait notamment fait référence au poids d’une employée, humilié des étudiants devant d’autres personnes, déformé l’opinion d’un collègue-cadre sur le rendement d’un employé, et comparé une session de formation à un « camp de concentration ».
Affaires mondiales avait promu la cadre en juin 2018, plus d’un an après avoir déterminé qu’elle avait enfreint leur Code de valeurs et d’éthique. Toutefois, aucun plan d’action n’avait été mis en place et le mauvais traitement infligé aux employés et les commentaires déplacés s’étaient poursuivis. En la promouvant, Affaires mondiales avait donné l’impression d’endosser le comportement inacceptable de la cadre. Ceci avait miné la confiance des employés envers les processus dont ils disposaient pour faire part de leurs préoccupations.
Il est largement reconnu que les gestionnaires sont tenus à une norme de conduite plus élevée et qu’ils doivent servir d’exemple aux employés. À l’occasion, les gestionnaires font des erreurs de jugement. Cependant, dans le cas de ladite cadre, la preuve démontre une pratique soutenue, sur plusieurs années, à un comportement inapproprié et des commentaires déplacés.
Tout fonctionnaire a droit à un environnement de travail sain et sécuritaire. Le comportement de la cadre avait enfreint ce droit, et Affaires mondiales avait aggravé la situation en ne prenant aucune mesure suffisante. Les employés doivent avoir confiance dans les systèmes mis en place pour signaler un problème. Cette confiance, une fois minée, prend beaucoup de temps et d’efforts à réparer. Et lorsque cette confiance est ébranlée, c’est un préjudice causé aux fonctionnaires et à tous les Canadiens.
Ce document est également disponible en version PDF.
ISBN 978-0-660-44372-0
Table des matières
Lettres
L’honorable George J. Furey, c.r.
Président du Sénat
Le Sénat
Ottawa (Ontario) K1A 0A4
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant mes conclusions dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre d’Affaires mondiales Canada. Le rapport doit être déposé au Sénat conformément aux dispositions du paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.
Le présent rapport fait état de mes conclusions sur des actes répréhensibles, des recommandations que j’ai faites à l’administratrice générale, des commentaires écrits de l’administratrice générale et de mon avis quant au caractère satisfaisant de la réponse de l’administratrice générale relativement à mes recommandations.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
(La version originale a été signée par)
Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Ottawa, octobre 2022
L’honorable Anthony Rota, député
Président de la Chambre des communes
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous présenter le Rapport sur le cas concernant mes conclusions dans le cadre d’une enquête concernant une divulgation d’actes répréhensibles à l’encontre d’Affaires mondiales Canada. Le rapport doit être déposé à la Chambre des communes conformément aux dispositions du paragraphe 38(3.3) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles.
Le présent rapport fait état de mes conclusions sur des actes répréhensibles, des recommandations que j’ai faites à l’administratrice générale, des commentaires écrits de l’administratrice générale et de mon avis quant au caractère satisfaisant de la réponse de l’administratrice générale relativement à mes recommandations.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
(La version originale a été signée par)
Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Ottawa, octobre 2022
Avant-propos
Le présent Rapport sur le cas d’actes répréhensibles avérés a été déposé devant le Parlement conformément à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi). Le rapport dénote les conclusions de notre enquête sur le comportement inapproprié et le mauvais traitement infligé à des employés par une cadre d’Affaires mondiales Canada (AMC), de même que sur la réaction de la direction d’AMC à la conduite de ladite cadre.
La Loi prévoit un mécanisme de dénonciation confidentiel qui permet aux fonctionnaires et aux membres du public de divulguer des renseignements liés à des actes répréhensibles dans le secteur public fédéral. À la suite d’une divulgation, j’ai lancé une enquête sur une allégation selon laquelle Mme Latifa Belmahdi, une directrice exécutive, a commis un acte répréhensible lorsqu’elle a fait, de façon continue, des commentaires déplacés et a maltraité des employés.
En vertu de la Loi, j’ai le pouvoir d’élargir une enquête à la suite de toute information qui est fournie au Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada (le Commissariat), si j’ai des raisons de croire qu’un autre acte répréhensible a été commis. Dans le cas présent, j’ai lancé une autre enquête pour déterminer si AMC avait négligé de prendre des mesures suffisantes pour remédier au comportement inapproprié de Mme Belmahdi, ainsi qu’au mauvais traitement infligé à des employés.
La Loi a été créée pour fournir un mécanisme de dénonciation confidentiel au sein du secteur public fédéral. Le régime de divulgation établi par la Loi vise à déceler les actes répréhensibles lorsqu’ils se produisent et à prendre des mesures correctives pour y mettre fin. Le régime sert aussi de moyen de dissuasion à l’échelle du secteur public fédéral. Voilà pourquoi la Loi exige que les cas d’actes répréhensibles avérés soient signalés au Parlement. Il s’agit d’un puissant outil de transparence et de responsabilité à l’égard du public.
En concluant à l’existence d’un acte répréhensible, je dois préciser que Mme Belmahdi est seule responsable de sa propre conduite. Cependant, AMC n’a également pas pris de mesures suffisantes pour remédier au comportement inapproprié de Mme Belmahdi, ce qui a permis au comportement de perdurer.
Le présent rapport peut servir à rappeler que tous les fonctionnaires ont le devoir de respecter le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Les cadres en particulier ont un rôle à jouer en donnant l’exemple d’un comportement approprié aux employés. En outre, le rapport souligne le devoir de la direction de prendre des mesures lorsque le comportement des cadres a un impact négatif sur les employés.
Joe Friday
Commissaire à l’intégrité du secteur public
Mandat
Le Commissariat contribue à renforcer la reddition de comptes et à accroître la surveillance des activités du gouvernement ainsi :
- Fournir un processus indépendant et confidentiel pour recevoir les divulgations d’actes répréhensibles dans le secteur public fédéral, ou concernant ce dernier, provenant des fonctionnaires et du grand public, et pour faire enquête sur celles-ci;
- Déposer au Parlement des rapports sur les cas d’actes répréhensibles avérés et en formulant des recommandations de mesures correctives aux administrateurs généraux;
- Offrir un mécanisme qui vise à traiter les plaintes en matière de représailles reçues des fonctionnaires et des anciens fonctionnaires dans le but de résoudre la situation, y compris par l’entremise de la conciliation et des renvois de cas au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs.
Le Commissariat est un organisme fédéral indépendant créé en 2007 dans le but de mettre en œuvre la Loi.
L’article 8 de la Loi définit ainsi les actes répréhensibles :
- la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente Loi;
- l’usage abusif des fonds ou des biens publics;
- les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;
- le fait de causer – par action ou omission – un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;
- la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;
- le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).
La Loi prévoit que les enquêtes menées sur une divulgation ont pour objet de porter l’existence d’actes répréhensibles à l’attention de l’administrateur général de l’organisme concerné et de lui recommander des mesures correctives.
La divulgation
Le 21 novembre 2019, le Commissariat a reçu une divulgation d’actes répréhensibles concernant plusieurs exemples de conduite inappropriée de Mme Belmahdi. En février 2020, j’ai lancé une enquête sur l’allégation selon laquelle Mme Belmahdi a commis une contravention grave d’un code de conduite lorsqu’elle a fait, de façon continue, des commentaires déplacés et lorsqu’elle a maltraité des employés.
Grâce aux informations fournies au cours de l’enquête, le Commissariat a appris qu’AMC était au courant du comportement inapproprié de Mme Belmahdi, mais avait négligé de prendre des mesures suffisantes pour y remédier. J’avais des raisons de croire qu’un autre acte répréhensible avait été commis et, en novembre 2020, j’ai lancé une enquête sur le rôle de la direction d’AMC dans cette affaire.
Vue d’ensemble de l’organisme
Selon le mandat publié sur son site Web, AMC est responsable, entre autres, de favoriser les relations internationales du Canada et les mesures de commerce international, de fournir des services consulaires pour les Canadiens et de superviser le réseau mondial des missions du gouvernement du Canada à l’étranger.
Lors de notre enquête, Mme Belmahdi était directrice exécutive à la Direction des affaires publiques, qui est responsable des communications et des affaires publiques au sein d’AMC. Elle gérait une équipe d’environ 25 employés.
Résultats de notre enquête
Notre enquête a révélé ce qui suit :
- Mme Belmahdi a commis une contravention grave d’un code de conduite lorsqu’elle a continué à faire des commentaires déplacés aux employés et a maltraité ceux-ci en sachant parfaitement qu’AMC avait précédemment jugé que son comportement constituait une contravention du Code de valeurs et d’éthique du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (le Code d’AMC), en particulier de la valeur « Respect envers les personnes ».
- AMC a commis un cas grave de mauvaise gestion en ne remédiant pas de manière adéquate au comportement inapproprié de Mme Belmahdi et en n’y remédiant pas conformément aux recommandations découlant d’une enquête interne menée par AMC en 2017 sur sa conduite, et AMC ne s’est pas assuré que le comportement de Mme Belmahdi s’était amélioré avant de la promouvoir, donnant ainsi aux employés l’impression qu’AMC endossait son comportement.
Aperçu de notre enquête
Mme Christine Denis, une enquêteure au sein du Commissariat, a dirigé l’enquête, soutenue par un de nos enquêteurs juniors, M. Dragos Iancu Leach. Ils ont interrogé 24 témoins et examiné de nombreux documents.
Conformément à notre obligation de respecter la justice naturelle et l’équité procédurale, le Commissariat a remis un rapport d’enquête préliminaire à Mme Belmahdi et à Mme Marta Morgan, sous-ministre des Affaires étrangères, en sa qualité d’administratrice générale d’AMC, pour leur donner l’occasion de répondre aux allégations.
Pour parvenir à mes conclusions, j’ai dûment pris en compte toutes les informations reçues au cours de notre enquête, y compris les commentaires en réponse au rapport d’enquête préliminaire.
Facteurs pris en considération pour conclure à l’existence d’un acte répréhensible
Pour que la commissaire puisse conclure à l’existence d’un acte répréhensible, défini à l’article 8 de la Loi, la norme de preuve applicable est celle de la prépondérance des probabilités. En droit canadien, cette norme de preuve signifie généralement qu’une conclusion est plus probable qu’une autre; en d’autres termes, il y a une plus grande probabilité d’une chose que d’une autre.
Cas graves de mauvaise gestion
Lorsqu’il enquête sur une allégation de cas grave de mauvaise gestion au sens de l’alinéa 8c) de la Loi, le Commissariat tient notamment compte des facteurs suivants :
- des problèmes importants;
- de graves erreurs non sujettes à débat entre des personnes raisonnables;
- des actes qui dépassent le simple acte répréhensible ou la simple négligence;
- des actes ou des omissions de la gestion qui créent un risque important de conséquences néfastes graves sur la capacité de l’organisme, du bureau ou de la section de s’acquitter de sa mission;
- des actes ou des omissions de la gestion qui représentent une grave menace pour la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, et il ne s’agit pas principalement d’une affaire de nature personnelle telle qu’une plainte individuelle de harcèlement ou un grief individuel relatif au milieu de travail;
- la nature intentionnelle de l’acte;
- la nature systémique de l’acte répréhensible.
Contravention grave d’un code de conduite
Pour établir si une action ou une omission constitue une contravention « grave » d’un code de conduite au sens de l’alinéa 8e) de la Loi, il faut tenir compte des éléments caractéristiques suivants :
- la contravention constitue un écart important par rapport aux pratiques généralement acceptées au sein du secteur public fédéral;
- les conséquences actuelles ou éventuelles de la contravention sur les employés ou les clients de l’organisme en cause, ou sur la confiance du public, sont importantes;
- l’auteur allégué des actes répréhensibles occupe au sein de l’organisme un poste d’un niveau hiérarchique élevé ou nécessitant un niveau de confiance élevé;
- il ne fait aucun doute qu’une personne raisonnable conclurait que des erreurs graves ont été commises;
- la contravention du(des) code(s) de conduite applicable(s) est de caractère systémique ou endémique;
- les contraventions au(x) code(s) de conduite applicable(s) sont répétées, ou diverses contraventions ont eu lieu sur une longue période;
- le caractère délibéré ou insouciant de la contravention du(des) code(s) de conduite applicable(s) est marqué;
- la contravention représente une menace grave pour la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, et il ne s’agit pas seulement d’une affaire de nature personnelle telle qu’une plainte individuelle de harcèlement ou un grief individuel relatif au milieu de travail.
Résumé des conclusions
Les informations obtenues au cours de notre enquête révèlent que Mme Belmahdi a maltraité des employés à plusieurs reprises, notamment en les humiliant, en haussant la voix et en faisant des commentaires déplacés. De plus, la preuve démontre qu’à la suite d’une enquête interne menée par AMC en 2017 sur le mauvais traitement des employés par Mme Belmahdi, celle-ci a continué à avoir un comportement inapproprié.
La preuve démontre également qu’AMC n’a pas pris de mesures suffisantes pour mettre fin au comportement inapproprié de Mme Belmahdi. AMC n’a pas donné suite aux recommandations découlant du rapport d’enquête interne de 2017. De plus, AMC n’a pas surveillé le comportement de Mme Belmahdi pour déterminer s’il s’était amélioré, et n’a également pas assuré un environnement favorable pour que les employés puissent faire part de leurs préoccupations. En juin 2018, AMC a promu Mme Belmahdi malgré son comportement, l’endossant ainsi.
L’enquête interne d’AMC
En 2016, à la suite de plusieurs plaintes d’employés, AMC a lancé une enquête interne sur les agissements de Mme Belmahdi. Cette enquête a conclu qu’un certain nombre d’incidents de comportement inapproprié s’étaient produits. Notamment, Mme Belmahdi a crié, a lancé des objets, s’est moquée du travail des employés, a souvent dit qu’elle détestait son travail et qu’elle allait se suicider, a poussé et giflé un employé, et a présenté un membre de l’équipe comme « leur collègue terroriste. » [traduction]
Selon les conclusions du rapport d’enquête interne d’AMC de 2017 (le rapport d’AMC), le style de gestion de Mme Belmahdi ne correspondait pas à des compétences clés en matière de leadership attendues des dirigeants de la fonction publique. À la suite du rapport d’AMC, la Direction générale de l’inspection, de l’intégrité, des valeurs et de l’éthique d’AMC a déterminé que la conduite de Mme Belmahdi constituait une contravention du Code d’AMC, en particulier de la valeur « Respect envers les personnes ». La Direction générale a également noté que si la situation n’était pas remédiée rapidement, le risque de créer un environnement empoisonné était élevé.
Conséquemment, un plan d’action devait être mis en place pour aider Mme Belmahdi à modifier son comportement et à améliorer ses interactions et ses relations avec les employés. Si le plan d’action avait engendré une amélioration du comportement de Mme Belmahdi, elle aurait alors été considérée pour une promotion.
Mauvais traitement continu des employés
Au cours de l’enquête du Commissariat, Mme Belmahdi a déclaré qu’elle prenait les résultats du rapport d’AMC très au sérieux et qu’elle s’efforçait de modifier son comportement. Cependant, la preuve démontre que le comportement inapproprié de Mme Belmahdi avait continué.
Des témoins ont noté que Mme Belmahdi levait les yeux au ciel lorsque les employés parlaient et qu’elle haussait la voix pendant les réunions, intimidant ainsi certains employés. Des témoins ont également confirmé que Mme Belmahdi faisait des commentaires déplacés sur le rendement des employés, parfois devant leurs pairs. Par exemple :
- À plusieurs reprises, Mme Belmahdi a qualifié de « ugly baby » un projet de développement international;
- Elle a dit à un employé que son travail était détesté par un cadre supérieur;
- Elle s’est moquée du travail d’un graphiste en disant qu’un personnage que l’employé avait dessiné était laid;
- Elle a dit à un employé qu’elle était d’accord avec un gestionnaire senior qui lui avait exprimé que l’employé ne serait jamais promu; toutefois, ledit gestionnaire senior a confirmé qu’il n’avait pas fait un tel commentaire, et que ce n’était pas la première fois que Mme Belmahdi utilisait son nom de cette manière;
- Elle a traité ses adjoints administratifs d’incompétents;
- Elle a dit à un cadre qu’elle n’avait « jamais rencontré une personne aussi incompétente » [traduction] et a ajouté qu’elle ne pouvait pas croire que ledit cadre occupait un poste de dirigeant.
Les commentaires déplacés de Mme Belmahdi ne se limitaient pas au travail et à la performance des employés. Elle a également fait des allusions au poids d’une employée, en disant même : « La voilà qui va au gym. Elle a encore dû manger trop de “cupcakes”! » [traduction] À plusieurs reprises, elle a tenu des propos dérangeants, tels que dire à un employé qu’une session de formation à laquelle elle avait assisté était un « camp de concentration. » [traduction] L’employé était juif.
En plus de faire des commentaires déplacés, Mme Belmahdi a également maltraité des employés à de nombreuses reprises, les laissant souvent se sentir humiliés. Voici quelques exemples :
- Mme Belmahdi s’est adressée à un employé de manière abrupte et grossière lors d’une réunion virtuelle, et l’a réprimandé devant ses pairs;
- Elle a accusé à tort un employé d’avoir une « bitching session » à son sujet lorsqu’elle a entendu son nom mentionné dans une conversation informelle;
- Mme Belmahdi a appelé une employée enceinte à 7 h et a insisté pour qu’elle vienne au bureau, malgré le fait que l’employée avait informé Mme Belmahdi qu’elle ne se sentait pas bien et qu’elle utiliserait un congé de maladie;
- Elle a dit à son adjoint de ne pas partager d’idées pendant une réunion;
- Elle a réprimandé un employé pour avoir pris un congé en raison d’un décès dans la famille, et l’a accusé de mentir au sujet de son absence.
Plusieurs témoins ont rapporté que Mme Belmahdi a également maltraité des étudiants inscrits dans un programme d’enseignement coopératif, et qu’elle l’a fait devant d’autres employés. Notamment :
- Mme Belmahdi a dit aux étudiants qu’ils ne faisaient pas partie de l’équipe – par exemple, elle a dit à un étudiant qui passait lors d’un repas-partage : « C’est un lunch d’équipe. Tu ne fais pas partie de l’équipe, donc tu ne peux pas rester! » [traduction];
- Elle a fait en sorte que les étudiants se sentent mal à l’aise et intimidés – dans un cas, Mme Belmahdi a dit à tout le monde lors d’une réunion qu’un étudiant recevait un salaire inférieur à celui des autres, en lui souhaitant bonne chance s’il allait demander un salaire plus élevé;
- Elle a humilié trois étudiants lors d’une réunion d’équipe, en disant qu’elle était déçue par leur rendement à tous les employés qui étaient présents.
Le comportement de Mme Belmahdi a tellement affecté un étudiant qu’il a dû s’absenter du travail. Cet étudiant a indiqué qu’il n’avait pas déposé de plainte formelle contre Mme Belmahdi de peur que cela n’ait un impact négatif sur ses chances d’avancement. Plusieurs étudiants se sont plaints du comportement de Mme Belmahdi auprès du coordonnateur du programme d’enseignement coopératif de leur université.
La preuve démontre que le comportement de Mme Belmahdi dépassait largement le cadre des pratiques acceptables dans le secteur public, ainsi que le comportement attendu identifié dans le Code d’AMC. Selon les Compétences clés en leadership pour les cadres supérieurs et les hauts fonctionnaires de la fonction publique fédérale, tout cadre dirigeant de la fonction publique doit donner l’exemple, inspirer et motiver les employés, et créer un environnement de travail respectueux et empreint de confiance.
La preuve démontre que Mme Belmahdi n’a pas saisi la gravité des premières conclusions du rapport d’AMC, puisque son comportement inapproprié s’est poursuivi. Mme Belmahdi a exprimé des remords au cours de son entretien avec les enquêteurs du Commissariat et a déclaré qu’elle avait pris les conclusions au sérieux; or, ses actions démontrent que ce n’est pas le cas. Son comportement a été répétitif et soutenu sur une longue période, tant avant qu’après le rapport d’AMC, et a eu un impact négatif sur plusieurs employés. Ainsi, une personne raisonnable conclurait sans aucun doute que Mme Belmahdi a commis des erreurs graves, et qu’elle a fait preuve d’un comportement délibéré et insouciant marqué.
Les actions de Mme Belmahdi sont également d’une grande importance dans le contexte de l’environnement de travail actuel du secteur public fédéral. À tour de rôle, l’ancien greffier et l’actuelle greffière du Conseil privé ont souligné qu’un milieu de travail sain est une priorité de la fonction publique. Les attentes des greffiers concernant le comportement des fonctionnaires sont particulièrement pertinentes pour ma détermination au sujet des contraventions de Mme Belmahdi du Code d’AMC et du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Ainsi, les contraventions de Mme Belmahdi représentent un écart important par rapport aux pratiques généralement acceptées dans le secteur public fédéral et ses contraventions sont graves, compte tenu du rôle de leader de Mme Belmahdi.
Réponse inadéquate d’AMC
Après le rapport d’AMC, il était crucial pour le ministère de prendre toutes les mesures raisonnables pour empêcher Mme Belmahdi de poursuivre son comportement inapproprié. AMC avait la responsabilité de fournir à Mme Belmahdi les outils nécessaires pour corriger sa conduite, de surveiller son comportement et de protéger les employés de tout autre mauvais traitement ou comportement inapproprié sur le lieu de travail. AMC devait également veiller à ce que la promotion de Mme Belmahdi au prochain niveau de poste de cadre soit subordonnée à l’amélioration de son comportement au moyen d’un plan d’action. Cependant, la preuve démontre qu’AMC n’a mis en place aucun plan d’action et a décidé de promouvoir Mme Belmahdi malgré le fait que son comportement inapproprié avait continué.
AMC a tenté de corriger le comportement de Mme Belmahdi en lui fournissant un coach professionnel; le coaching n’a été réalisé que partiellement et les séances de coaching ont repris sous forme d’un coaching informel par un autre cadre. Il est peu probable que le coaching fourni par ledit cadre ait été suffisant, et la preuve démontre que le comportement inapproprié de Mme Belmahdi s’est poursuivi malgré tout.
AMC n’a ni veillé à ce qu’un plan d’action soit mis en place ni effectué de suivi auprès des employés de Mme Belmahdi pour vérifier si le comportement inapproprié s’était amélioré. Étant donné que Mme Belmahdi avait enfreint le Code d’AMC en 2017, il est préoccupant qu’il n’y ait pas eu de suivi auprès des employés concernant leur bien-être au travail. Cependant, il convient de noter qu’il aurait été difficile pour ses superviseurs d’effectuer un suivi auprès des employés alors que la plupart des superviseurs n’étaient pas informés des conclusions du rapport d’AMC. Le partage de ces informations avec les superviseurs de Mme Belmahdi aurait pu permettre un meilleur suivi de son comportement.
Selon la preuve, il y a eu un manquement à l’obligation de garantir un environnement dans lequel les employés se sentaient à l’aise pour faire part de leurs préoccupations à l’égard de Mme Belmahdi. Les employés pensaient que s’ils se plaignaient, cela limiterait leur carrière et qu’ils devaient régler les problèmes eux-mêmes. Certains employés pensaient également qu’il serait inutile de porter plainte, puisque le rapport d’AMC n’avait donné lieu à aucune action concrète. En outre, les employés savaient que Mme Belmahdi avait été promue dans l’année qui a suivi le rapport d’AMC, ce qui leur a permis de croire qu’AMC endossait son comportement. La conséquence de cette situation est l’affaiblissement de la légitimité des processus dont disposent les employés pour faire part de leurs préoccupations concernant le comportement des gestionnaires seniors.
La réponse inadéquate d’AMC constitue une erreur grave qui n’est pas sujette à débat entre des personnes raisonnables et qui est une question d’une grande importance.
Conclusion
Les gestionnaires sont tenus à une norme de conduite plus élevée et doivent servir d’exemple aux employés. Les gestionnaires peuvent faire des erreurs de jugement. Cependant, dans le cas de Mme Belmahdi, la preuve démontre une tendance soutenue, sur plusieurs années, à un comportement inapproprié et des commentaires déplacés. En tant que directrice exécutive gérant une équipe d’environ 25 employés, Mme Belmahdi occupait un poste d’un niveau hiérarchique élevé. Ainsi, ses responsabilités comprenaient la promotion d’un lieu de travail sain, l’entretien de relations productives, la constitution d’équipes soudées et le respect des normes professionnelles les plus élevées.
Il incombe à la direction de garantir un environnement de travail sûr, dans lequel les employés se sentent habilités à faire part de leurs préoccupations. En ne prenant pas de précautions raisonnables pour s’assurer que le comportement de Mme Belmahdi s’améliore, et en continuant à la promouvoir, AMC a permis à son comportement inapproprié de se poursuivre et a donné l’impression de l’endosser.
Par conséquent, je conclus que les actions de Mme Belmahdi constituent une contravention grave de codes de conduite, un acte répréhensible au sens de l’alinéa 8e) de la Loi. De plus, les manquements d’AMC correspondent à un cas grave de mauvaise gestion au titre de l’alinéa 8c) de la Loi.
Recommandations du commissaire et réponse d’AMC
Conformément à l’alinéa 22h) de Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (la Loi), j’ai fait les recommandations suivantes à Mme Marta Morgan, sous-ministre des Affaires étrangères, en sa qualité d’administratrice générale d’Affaires mondiales Canada (AMC), concernant des mesures correctives. Je demanderai un compte rendu sur toutes les trois recommandations au cours des six prochains mois pour m’assurer qu’elles sont dûment prises en compte.
Voici mes recommandations et la réponse d’AMC :
1. Considérant l’article 9 de la Loi, qui prévoit que « le fonctionnaire qui commet un acte répréhensible s’expose à des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement », je recommande qu’AMC détermine s’il convient d’imposer des sanctions disciplinaires à Mme Latifa Belmahdi.
AMC lancera un processus disciplinaire pour régler les problèmes soulevés dans le rapport et ce processus comprendra des mesures disciplinaires ou correctives appropriées.
2. Je recommande qu’AMC, en consultation avec les employés et les agents-négociateurs pertinents, évalue la nécessité d’élaborer une initiative sur le bien-être en milieu de travail pour la direction générale concernée afin de veiller à créer un lieu de travail sain et à répondre aux besoins des employés touchés par la conduite de Mme Belmahdi.
AMC évaluera la nécessité d’une évaluation du climat organisationnel du secteur touché afin de remédier aux effets persistants potentiels de la conduite de Mme Belmahdi.
3. Je recommande également qu’AMC revoie les mécanismes en place pour la création d’un milieu de travail sain pour faire en sorte que tous les gestionnaires comprennent les obligations qui leur incombent aux termes du Code de valeurs et d’éthique du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, de même que du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique.
AMC continuera de promouvoir auprès de tous les gestionnaires et employés leurs obligations en vertu du Code de valeurs et d’éthique d’AMC, ainsi que le Code de valeurs et d’éthique du secteur public. En vertu de la Directive sur la formation obligatoire à AMC, tous les employés sont soumis à une formation obligatoire sur les valeurs et l’éthique. De plus, une série de programmes de formation ciblés sont offerts aux secteurs et aux gestionnaires.